
Moez Joudi, expert économique
« La faillite d’une institution bancaire provoque obligatoirement une crise financière. Il ne faut pas oublier que la crise mondiale de 2008 résultait de la déclaration de faillite de la banque « Lehman Brothers ». La Tunisie sera dans l’obligation de payer la somme de trois milliards de dinars qui fait objet de litige entre la République tunisienne et un ancien actionnaire de la Banque franco-tunisienne. Or, nous n’en avons pas les moyens. Ceci portera atteinte à l’image du pays… Ce genre de dossiers ne doit pas être traité dans le silence… Prenons l’exemple de la société El Fouledh qui a cumulé un déficit à hauteur de 370 millions de dinars. On va déclarer sa faillite sans même essayer de sauver l’entreprise. Ceci coûte énormément d’argent. Plusieurs indicateurs relatifs à la faillite de la BFT étaient inquiétants. Les chiffres sont considérables… Nous ne devons pas négliger l’affaire. La banque a cumulé un déficit de 500 millions de dinars… Il y a des créances impayées à hauteur de 270 millions de dinars. Les frais d’honoraires ont atteint 250 millions de dinars. Il s’agit de frais payés à l’étranger en devises… Où est l’Union générale tunisienne du travail ? Son rôle s’est limité à placer les 300 ou 400 employés de la BFT dans d’autres banques ! La centrale syndicale aurait dû imposer un débat autour de la situation et des dépenses de la BFT… Où est l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat ? Les déposants n’auront accès qu’à soixante mille dinars ! La BFT aurait dû être privatisée depuis plusieurs années ».
Mohsen Ben Sassi, président de la Chambre nationale du commerce du prêt-à-porter
« Les ventes du prêt-à-porter, du textile, des chaussures, et des lunettes ont baissé de 50%, à cause de la détérioration du pouvoir d’achat des Tunisiens, la hausse des prix et l’instabilité politique. Il y a eu une faible affluence des Tunisiens au cours de la période des soldes hivernales qui prendra fin le 13 mars 2022, quoique plusieurs commerçants aient effectué des soldes de 40% et non pas de 20% comme le prévoit la loi en vigueur. Le citoyen n’a pas d’argent et nous traversons une période difficile. La couverture des charges du mois de Ramadan est la priorité des Tunisiens aujourd’hui. Il est normal que les soldes ne concernent pas les nouvelles collections dans la mesure où la loi interdit les soldes sur les articles de moins de 90 jours. Cela n’empêche que certains commerçants commettent des dépassements. Il s’agit principalement de réductions arbitraires et d’un manque d’information et il faut, à mon sens, revoir la loi régissant les périodes des soldes en Tunisie. Il faut aussi réduire la durée des soldes à 4 semaines au lieu de 6 semaines et d’organiser des festivals de shopping couvrant une large palette de produits, y compris l’électroménager, en collaboration avec toutes les parties concernées. La situation des commerçants est lamentable à cause de la pandémie et la chute des ventes. Certains sont au bord de la faillite et font l’objet de poursuites judiciaires pour émission de chèques sans provision, alors que d’autres ont été obligés de fermer boutique».
Fathi Zouhair Nouri, professeur universitaire en sciences économiques
« La hausse du cours des carburants dans le monde suite à l’offensive russe en Ukraine aura des répercussions sur l’économie tunisienne, et plus particulièrement sur le système de subvention et les prix des produits énergétiques en Tunisie. Le problème de la subvention de pétrole est surtout lié aux systèmes et non pas aux gouvernements, dans la mesure où la révision de ces systèmes par un gouvernement stable et puissant requiert au moins 4 ans. Les partis politiques doivent intégrer des compétences qui connaissent de près l’économie nationale et le fonctionnement de l’Etat. Le déficit énergétique représente 40% du déficit courant de la Tunisie, ce qui nuit considérablement aux avoirs nets en devises de la Tunisie. Paradoxalement, le ministère de l’Energie ne retient pas cette analyse économique, et ne traite pas cette question et sa focalisation, essentiellement sur le dossier de subvention. La décision politique ne s’oriente pas vers la révision des prix des carburants à la baisse quand le prix du baril de pétrole a atteint 45 dollars, car les recettes fiscales générées par la consommation des carburants vont, de ce fait, baisser. J’appelle à la valorisation du travail et la production avant de parler des modalités de répartition des richesses, étant l’apanage de l’Etat qui veille sur la mise en place des politiques de développement. Les gouvernements précédents n’ont pas pu créer de la richesse à cause du manque de conscience des responsables et de la corruption. La Tunisie est le seul pays au monde qui traverse une triple crise. D’abord, une crise de transition démocratique qui nous a coûté cher, ensuite, une crise sanitaire, outre les répercussions de la crise russo-ukrainienne. Nous avons besoin d’un génie pour faire sortir le pays de l’œil du cyclone et surmonter toutes ces crises survenues à la fois. La partie sociale doit être consciente de la gravité de la situation économique du pays et faire preuve de compréhension. La cession d’une ou de deux entreprises publiques ne sera pas une décision dangereuse ».